Si l’on s’intéresse à la photographie contemporaine, Di Fonzo ne sera pas un inconnu. Ce Turinois, photographe lui même, et homme de laboratoire dont les tirages font l’unanimité chez les photographes du monde entier, est aussi galeriste, plasticien et chercheur. C’est en ce domaine il a présenté au cours de l’an dernier une proposition singulière ( que nous devrions voir dans notre région dans les prochains mois ) qui semble renouer avec une tradition remontant à l’humanisme de la Renaissance !! où l’on tentait de relier pratiques artistiques et connaissances scientifiques !! Dans « Sampling » puisque tel est le nom générique des séries qu’il expose pour rendre compte de cette recherche, il met à profit sa longue expérience professionnelle pour s ‘ intéresser aux couleurs en ce qu’elles sont, et telles qu’elles se proposent, aux regards lors d’une reproduction photographique . Elles sont en effet soumises sous l’effet de la lumière au système dit RGB ( Rouge ,Vert, Bleu) qui correspond à des niveaux de colorisation des pixels, soit une série codage à six chiffres, 2 pour les 256 niveaux de chaque couleur. Dès lors plusieurs millions de combinaisons entre ceux – ci sont possibles et doivent permettre d’analyser l’ensemble des choix picturaux préférentiels d’un artiste ancien ou contemporain . Di Fonzo en poursuivant son raisonnement eut alors l’idée d’expérimenter ces avancées en les mettant à l’épreuve d’une restitution des couleurs d’un tableau ( chaque codage valant pour une sorte d’ ADN des pratiques de colorisation du peintre ) faisant ainsi paraître sous formes de lignes parallèles les relations préférentielles vibrations, harmonies, entre les couleurs et nuances choisies par le peintre . Tout ce codage qui n’est pas sans rappeler les échantillonnages (sampling) des musiques contemporaines, n’est évidemment possible que par les ressources offertes par la conception et l’usage de programmes informatiques . En somme c’est un peu comme si Gerry di Fonzo opérait un retour aux conditions de la pratique artistique telle que la concevait Alberti dans » De pictura » en l’inversant ou pour une sorte de clin d’œil ! . Car celui-ci validait en effet, dans son avant propos, les relations entre mathématiciens et peintres :« les mathématiciens faisant abstraction de la matière mesurent par leur seul intellect les espèces et les formes des choses « tout en affichant sa différence : « que l’on considère mon ouvrage non comme celui d’un pur mathématicien, mais tout simplement comme celui d’un peintre « .(1) Cette proposition pourra certainement trouver de précieuses applications nouvelles ou complémentaires utiles aux experts et historiens d’art ; comme elle vérifie de fait la justesse de l’empirisme d’un Cézanne « la nature n’est pas en surface, elle est en profondeur. Les couleurs sont l’expression à cette surface, de cette profondeur. Elles montrent les racines du monde . » Mais les bandes colorées parallèles qui en résultent sont aussi un appel à considérer celles-ci en tant que matière ou en tant que langage nouveau en usant ou modifiant l ‘ »ADN » originel ou ses séquençages . Il s’agirait là ,comme la critique italienne (2) l’a évoqué , d’un champ de création totalement nouveau ou l’expression artistique tiendrait moins à la proposition de la composition proposée, qu’a la création même de ce qui l’aura permise . On aurait tort toutefois de croire qu’il y aurait là une sorte de néo-conceptualisme justifié par une démarche d’allure scientifique car paradoxalement, elle renvoie plus, à mon sens, aux approches de l’Arte Povera , (né aussi à Turin !,) en détournant ou retournant contre le « système « , les programmes et outils informatiques, ces nouvelles matières premières industrielles . L’avenir le dira et en jugera mais les perspectives offertes semblent passionnantes . Enfin, pour l’heure on peut aussi, et plus simplement, goûter les jeux ludiques que permet le travail de Gerry di Fonzo , au vu des apparences et comparaisons possibles de telle œuvre classique ou contemporaine avec ce qu’ en montre les couleurs de son analyse séquencée selon la méthodologie proposée . Ou encore rêver, imaginer ce que pourrait devenir par ce traitement les tons minimalistes de Morandi, les bandes de Rothko ou les récentes » strip painting » de Gehrard Richter. Soit et par un jeu de devinettes, on s’amusera de ces relevés de la puissance relative des coloris, qu’il est quelque fois difficile de comprendre. D’autres fois le jeu peut être clairement et quasiment pédagogique en ce qu’il permet de mesurer que ce qui a capté nos regards n’ était d’abord et avant tout , non le sujet , ni les formes de la représentation mais bel et bien la force ou la répétition d’une couleur dominante , de vérifier en somme que Merleau-Ponty (3) avait raison de poser que toujours, « l’ œil accomplit le prodige d’ouvrir à l’âme ce qui n’est pas âme « Daniel Bégard . Avril 2013 Leon Battista Alberti . De Pictura . (1435) Edition Française : Allia Editeur . Paris 2007 Fulvio Bortolozzo . » Sampling di Gerry di Fonzo » voir : www.artismap.com Fev 2012 Maurice Merleau-Ponty . L’œil et l’ esprit .